Après la période de gloire, Sidney en 2000, puis Athènes en 2004, qui le sacre double champion olympique, Estanguet a connu pendant quelques années et notamment en 2008, à Pékin, de grosses désillusions. Ce nouveau statut à assumer lors de ces jeux, favori du slalom individuel, slalomeur vedette et même… porte-drapeau de la délégation, l’a peut-être entraîné dans une volonté de maîtrise un peu excessive.

UNE SUCCESSION DE VICTOIRES 

Après une intense période de réflexion, l’athlète reprend finalement les pagaies. Estanguet va chercher Sylvain Curinier auprès de la fédération, entraîneur médaillé d’argent en 1992 à Barcelone. Ensemble, avec son frère Patrice Estanguet, ils changeront la méthode de travail avec pour objectif : Londres 2012. Depuis, Tony engrange les victoires : champion du monde 2009, Tony récidive en 2010 et glane le titre de champion d’Europe en 2011. Le dernier titre mondial renferme déjà une saveur particulière, tant il a dû jouer contre nature afin de le remporter, explique son frère :

« Tony avait gagné ses titres olympiques (2000 et 2004) en réalisant ce qu’il avait prévu. Là, il n’a pas fait la finale qu’il avait imaginée, mais il est sacré en inventant une course au fil de l’eau » (L’Equipe, Lundi 13 Septembre 2010, p.21). Sylvain Curinier confirme : « A vouloir tout contrôler, il s’était enfermé dans ses schémas. Mais on ne peut pas mettre l’eau vive dans des boîtes, il faut aussi se laisser aller, être libre ».

Cependant, cet objectif peut s’avérer difficile à atteindre lorsque votre besoin de tout maîtriser, de tout prévoir à l’avance a tendance à étouffer vos instincts, la fluidité de votre performance :

« Jusqu’en 2008, j’avais besoin d’un projet très ficelé. Du bord, je décidais tout, les appuis, la vitesse. Je pouvais prendre le départ les yeux fermés et réciter ma leçon » raconte l’athlète.

LE DÉSIR DE TOUT CONTRÔLER 

Le problème avec le désir de tout contrôler vient des déviances qu’il peut occasionner. Si un sportif de haut niveau a tout intérêt à s’attacher au quotidien à développer sa maîtrise des éléments étant de « sa responsabilité » (sous contrôle), il doit prendre garde à ne pas se diriger vers une volonté de contrôle abusif et irréaliste, à savoir : la maîtrise de l’événement dans son ensemble, ce qui, en clair, conduit au désir de contrôler ce qui ne l’est pas. Ducasse et Chamalidis, dans leur ouvrage « Champion dans la tête », ont une façon intéressante d’aborder cette question, qui est loin de concerner exclusivement Tony Estanguet. Ils parlent de nos personnages intérieurs : le maître, celui qui réfléchit, s’interroge, juge, veut comprendre et l’artiste, celui qui joue, qui est spontané, instinctif.

Pour les initiés en Analyse transactionnelle, on parlera de parent normatif et d’enfant libre ou encore de mental stratégique et automatique, pour les préparateurs mentaux. Pas toujours facile de trouver l’équilibre et de savoir passer de l’un à l’autre en fonction des moments et des situations. Cela est d’autant plus compliqué lorsque vous faites partie des individus dominés par un besoin important de tout diriger, repoussant les idées d’aléa et d’incertitude.

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ADOPTER UNE NOUVELLE APPROCHE 

Tony Estanguet a vraisemblablement su se faire violence et adopter une nouvelle approchele but de ces revirements étant d’améliorer sa capacité à appréhender les bassins aux mouvements d’eau plus aléatoires…incertains. Nous pouvons parier que le terme de « violence » n’est pas trop fort lorsque nous prenons le temps de relire certains de ses écrits antérieurs. Dans l’ouvrage D’Isabelle Inchauspé, Docteur d’Université en Psychologie, Tony Estanguet, qui a pris contact avec elle en 1997 en vue, comme il le confit, d’apprendre à se connaître, livre un témoignage très intéressant. La lecture « entre les lignes » de ses propos nous permet d’entrevoir  les difficultés auxquelles il a vraisemblablement dû se confronter pour changer d’attitude : « On a tendance à espérer pouvoir rester dans les mêmes schémas, à ne pas vouloir se compliquer la vie, se dire que ce n’est pas la peine d’envisager une autre manière d’agir. Or, il faut savoir envisager les choses différemment, oser innover, oublier un peu ses réflexes. Cela a l’air facile à dire, mais quand on s’implique à fond dans un fonctionnement, on n’y pense pas forcément » (2005, p.64).

TONY ESTANGUET LUI Y A PENSÉ… ET IL L’A FAIT !!

Il a mis en place un système dans lequel il savait que le changement serait la seule alternative. Sylvain Curinier et Patrice Estanguet étaient à ses yeux les hommes de la situation pour l’obliger à sortir de « ses boîtes » soigneusement répertoriées. Il avoue que cela a été un long processus et s’être senti parfois perdu. Même si ce travail a prouvé son efficacité sur les trois dernières années avec 3 titres remportés, Tony ne s’enflamme pas non plus car il est le seul à réellement connaître le prix des combats intérieurs de cette « nage à contre courant ». Pour ces Jeux olympiques Londres 2012, son frère sait désormais qu’il est capable de se transcender lors des grands rendez-vous : « Tony est vraiment un coureur de finale, sur la finale il devient beaucoup plus créatif ». Son entraîneur, Sylvain Curinier fait un constat similaire : « Ce que je veux, c’est qu’il la sente cette rivière ». Pendant des semaines, ils se sont concentrés sur les qualités du céiste en évitant de ressasser le passé. Parler des qualités comme son intelligence émotionnelle ou encore son efficacité, une manière de mettre de la confiance dans les pagaies, de croire en son destin et de se dire que tout est possible. Tony est à la fois lucide et prêt à se laisser embarquer : « Je ne sais pas comment gagner ces Jeux, je n’ai pas la réponse à cette question et ça ne m’intéresse pas d’y répondre ». Au final Tony révèlera les clés de sa course : « Je voulais me boucher les oreilles, mais quand j’ai entendu la bronca, je me suis dit que mon moteur n’était pas la concurrence, que mon défi, c’était la rivière. Il fallait rester simple et juste. Le parcours était trop dur pour faire des choses extraordinaires»

CHANGER SON APPROCHE ACTUELLE ET ÉVOLUER 

Félicitons-le pour ce nouveau titre et pour la force qu’il lui a fallu pour changer. En effet, si de nombreux sportifs de haut niveau ressentent au fond d’eux le besoin (voire la nécessité) d’évoluer, peu d’entre eux dépasseront la peur d’abandonner leur approche actuelle. Changer d’attitude vis à vis de sa discipline et de sa façon d’appréhender sa performance est en quelque sorte une épreuve qui demande un certain courage, ne serait-ce que pour se confronter à ses démons et accepter l’idée d’accueillir l’incertitude après avoir passé tant de temps à la faire taire.

Tony commentera, très naturellement, sa victoire en finale des jeux olympiques Londres 2012 : « Je n’ai pas fait ça pour l’histoire, pour un record. Aujourd’hui, je voulais juste être moi-même. Penser aux conséquences et vouloir anticiper, c’est un frein à la performance. »

Inspiré d’un article « le monde » dont l’auteur n’est pas identifié.

Yohann Duclos