Lettre ouverte à Christophe Lemaitre dans laquelle je propose une piste de réflexion sans prétendre, à aucun moment, que cette perception soit l’explication valable du résultat. Juste une réflexion issue d’une inspiration…

Les techniciens l’affirment, tout s’est joué en demi-finale. Tout s’est joué lorsque tu négocies difficilement, Christophe, ton virage et que tu finis troisième, malgré une remontée en fin de course pour te qualifier dans un couloir plus confortable en finale. Pour un centième de seconde, ce ne sera pas le cas…

CHRISTOPHE LEMAITRE, QU’EST CE QUI A BIEN PU TE COÛTER CE CENTIÈME ?

Comme je ne peux pas rivaliser avec les techniciens que sont Stéphane Diagana, Patrick Montel et toi-même, Christophe, « S’il n’y avait pas eu cette complication dans le virage, cela passait, et Spearmon je le rattrapais. Je démarre bien, je suis mieux parti qu’en série, et dans la sortie du virage, je suis censé réaccélérer et je n’y arrive pas, j’ai dû attendre dix mètres ». Je vais donc vous faire confiance et me ranger de votre côté en admettant que c’est dans cette demi-finale que tu as amoindri tes chances de finir sur le podium du 200m.

Mais tout de même, un centième…

Ce n’est vraiment pas grand-chose, ce n’est rien du tout et pourtant ça peut compromettre une médaille !

Une médaille pour laquelle tu as travaillé, tu t’es sacrifié en faisant l’impasse sur la course du 100m et te concentrer sur ce 200m, pour échouer de un centième ?

Je trouve ça incroyable et j’ai tenté de comprendre ce qui t’avait freiné :

Qu’est ce qui a bien pu te coûter un centième de seconde ?

A quel moment tu laisses échapper ce centième ?

Qu’est ce qui a rendu ce virage compliqué ?

Car un centième n’est pas le fait du hasard surtout lorsque je te vois Christophe, après la course, te prendre la tête à deux mains.

Je ne crois pas que tu sois catastrophé par peur d’être éliminé. Tu sais très bien à ce moment-là que tu as fait un très bon temps (20.03) et que peu de coureurs peuvent te dépasser dans les autres demies. Non, tu sais comme les spécialistes à ce moment-là, que si tu cours la finale, tu la courras dans un couloir qui ne te convient pas. « Après la course, quand je vois que je le manque d’un centième, c’est horrible ! Si je dois courir au 2 (en finale), ce sera plus compliqué… » Et tes chances seront minces de rivaliser avec ces monstres de Jamaïcains, Bolt et Blake qui viennent de se qualifier avec le frein à mains à l’arrivée.

Cette déception démontre que tu étais plutôt sûr de toi avant l’épreuve. D’ailleurs tu diras au micro de Nelson Montfort, après les séries, que tu peux battre n’importe qui, même le roi Usain. Tu n’en reviens pas d’être à cette troisième place et donc on peut déjà mettre de côté la pression de cette demi-finale avec ces 80 000 spectateurs qui n’est surement pas la cause de cette mini défaillance.

Tout le monde le dit, les couloirs extérieurs ne te conviennent pas techniquement, mais pour cette demi, ton couloir est le bon, c’est certainement ton couloir préféré avec ton principal concurrent juste devant toi, ce qui te permet de t’ajuster au cas où…

Alors je me suis concentré sur cette course en tentant de comprendre ce qui avait pu t’arriver. Car encore une fois, c’est plutôt de l’ordre d’un détail, un détail d’un centième de seconde. Ce qui veut dire que c’est quelque chose qui ne se voit pas forcément au premier coup d’œil.

Alors, que peut-on dire sur tes comportements avec ces 2 vidéos que j’ai sélectionnées pour cerner à quel moment se situe le déséquilibre émotionnel et tenter de trouver une explication de cet instant.

Ce qui est certain sur ces vidéos, c’est que tu as une routine de concentration d’avant course très nette :

Un balancier, un aller et retour vers les starting blocs, à l’appel, une respiration derrière le starting bloc, une devant, avant de placer tes pieds et tes mains. Ca, c’est très bien mais en comparant les deux vidéos, une chose me saute aux yeux.

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Dans les séries, ton balancier est très relâché, ample, tu as des mouvements de détermination, très directs, tes bras se balancent en direction de la piste, ton regard est volontaire, on sent ton besoin de prendre le dessus, de montrer qui tu es et pourquoi tu es là sur cette piste, aujourd’hui. Tu montres que tu es le dominant de cette série et que cette qualification est pour toi. Plusieurs items comportementaux les décriront (synergologues, vous les reconnaîtrez).

Mais au moment où tu te mets en place dans les starting blocs, au milieu de ta routine, au temps 3’24’ ta langue traverse de gauche à droite ta bouche. Cela me surprend qu’à moitié. Ce geste mi- conscient démontre ton besoin d’évacuer le rapport de rivalité. Cet item est cohérent avec tes gestes d’avant course mais m’alerte pour la suivante.

C’est un peu plus de tension à ce moment-là. Tu es figé, presque légèrement inhibé, les mains sur les hanches au début. Dans cette demi, ton balancier est beaucoup plus tendu, plus contracté moins souple. Tu as le masque, le commentateur le remarquera d’ailleurs. Et au temps 34’14, tu auras ce geste qui corroborera ce que je pense. Tu viens te gratter la joue droite avec ta main gauche ce qui peut se traduire par  une envie de mordre à propos d’un contexte, de l’autre ou d’un environnement qui te dérange…

Pour les non-initiés qui se demandent comment une réaction comportementale peut avoir une signification, je vous renvoie à ce site qui vous expliquera en détail sur quels préceptes scientifiques la synergologie se base pour appuyer ses arguments. www.synergologie.org

Alors bien sûr, je n’ai pas vu tous tes gestes qui sont la conséquence des émotions exprimées ou réprimées, étant limité par les caméras de télévision, mais ils suffiront à me mettre sur une piste qui pourrait être explorée. Une vision de ce que je connais de toi à travers ce que tu manifestes lors de tes meetings.

En préparation mentale, Christophe, on travaille sur trois paramètres :

– Le premier, c’est un travail de connaissance de soi, bien en amont de la compétition, plus sur l’homme que le sportif afin de renforcer son identité, doper sa confiance en soi et transformer ses craintes en forces.

– Le second, c’est purement sur le potentiel intrinsèque, on est vraiment dans le domaine sportif à ce moment-là, avec pour objectif la gestion du stress, la révélation de ses ressources, améliorer ses comportements par la visualisation…Ce que tu fais certainement avec ta routine, par exemple.

– Et enfin, un travail axé sur l’environnement, ton rapport aux autres, tes adversaires, savoir faire face aux enjeux, à la pression, les médias, la perception que tu as d’une compétition, etc…

Plus simplement, toi, ta performance, ton environnement…

Et je reste convaincu que ce troisième paramètre vient troubler le premier qui, à mon sens, est le plus fondamental. C’est un travail long et fastidieux qui ne se termine jamais car on apprend toujours de soi. Les évènements nous renvoient sans cesse à ce que nous sommes, avec nos forces et nos faiblesses. La connaissance de soi et de ses limites, ce que certains appellent l’expérience…

Tu sais, on n’est pas obligé d’attendre d’avoir 15 ans de sport ou la trentaine pour avoir de l’expérience. Un travail sur soi, ce que tu as déjà peut-être réalisé, permet d’anticiper, de s’adapter et d’équilibrer naturellement son stress pour être au rendez-vous et régler les derniers détails lors des grandes compétitions.

Alors voilà, compte-tenu de ces explications et de cette analyse, je brûle d’envie de te poser ces questions. Car toi seul a les réponses, toi seul connaît ton histoire et ce qui a pu se passer en toi. Moi, mon boulot est d’observer, de diagnostiquer ce qui ne va pas, d’en définir des orientations et de te donner l’occasion de mettre du sens à travers des prises de conscience par le questionnement. Vient ensuite un travail mental pour remédier à tout cela et optimiser tes performances.

– A quoi t’a renvoyé le contexte de la demi-finale, face à de sérieux concurrents ?

– Qu’est ce qui t’a donné le besoin de prendre ta place et de montrer qui tu étais en séries ?

– Qu’est ce qui t’a permis de finir à la Bolt en séries ?

– Qu’évoques pour toi, les concurrents que sont Spearmon, Blake et dans un second temps, Bolt ?

– Comment gères-tu le rapport de rivalité avec tes concurrents ?

– Qu’aurais-tu aimé dire, faire, dans ces demies finales, avant le départ, pour aller vers plus de fluidité ?

– Que te disais-tu en demi-juste avant de te placer dans les starting blocs ?

C’est une piste de réflexion qui te permettra, en y répondant, de gagner ce centième… et peut-être une médaille sur la scène mondiale !

Bien à toi

Yohann Duclos